Carnet de route

Les Frètes des Charmoz

Sortie :  Week-end prolongé multi-activités du 29/05/2025

Le 02/06/2025 par Chris
Les Frètes des Charmoz, ou comment transformer une sortie "tranquille" en épopée nocturne

Prologue : L'optimisme matinal

Jeudi 29 mai 2025, jour de l'Ascension. Tandis que la plupart des Français savourent leur grasse matinée, nous, valeureux membres du Club Alpin de Mâcon, nous apprêtons à défier les Frètes des Charmoz. L'atmosphère est détendue, presque désinvolte. Nos deux guides, Olivier "le boss" et Alex "le GOAT" (Greatest Of All Time, s'il vous plaît), affichent cette confiance tranquille des montagnards expérimentés.

Les cordées sont constituées avec la rigueur d'un chef d'état-major : Olivier encorde Yohann, Mickaël fait équipe avec Dimitri, et Alex hérite du duo redoutable formé par Nicolas "le tracteur" et Christophe. Ces surnoms ne sont pas anodins - Nicolas tire son surnom de sa capacité légendaire à avaler les dénivelés comme un engin de chantier, tandis que le sobriquet d'Alex témoigne de ses exploits passés en haute montagne.

Chapitre 1 : Le train de l'innocence

9h00 tapantes, gare du Montenvers. Nous embarquons dans le mythique train rouge à crémaillère avec l'assurance de touristes en goguette. L'aller-retour est acheté, le dernier train de la journée redescend à 17h - "on sera large", lance quelqu'un avec un sourire confiant. Cette phrase résonnera tragiquement dans nos mémoires quelques heures plus tard, car manquer CE train signifie une descente à pied obligatoire.

Le voyage en train nous offre déjà un avant-goût du spectacle : la Mer de Glace déroule ses séracs sous nos yeux émerveillés, les aiguilles granitiques percent le ciel d'un bleu immaculé. Au loin, les Drus dressent leurs parois vertigineuses, tandis que les Grandes Jorasses dominent majestueusement l'horizon de leur silhouette imposante. L'excitation monte, les plaisanteries fusent. Nous sommes encore loin d'imaginer que cette journée deviendra l'une de ces aventures dont on parle encore dix ans après.

Chapitre 2 : L'ascension vers le Signal Forbes

Depuis la gare du Montenvers, perchée à 1913 mètres, nous prenons la direction du Signal Forbes. Le sentier serpente d'abord sagement, nous permettant de nous échauffer en douceur. Les conversations vont bon train, chacun y va de son anecdote montagnarde, de ses projets d'été, de ses derniers exploits.

Petit à petit, nous quittons l'itinéraire principal, celui emprunté par les randonneurs du dimanche, pour nous diriger vers cette fameuse crête qui mène au mémorial Eric Escoffier. À 2450 mètres, cette petite stèle honore la mémoire d'un alpiniste disparu, rappel silencieux de la montagne qui ne pardonne pas toujours.

Chapitre 3 : Le mémorial et l'entrée en matière

Arrivés au mémorial Eric Escoffier, nous marquons une pause respectueuse. La vue se dégage, révélant l'ampleur du terrain de jeu qui nous attend. C'est ici que débute véritablement l'aventure : l'arête des Frêtes des Charmoz s'étire devant nous, promesse de sensations fortes et de paysages grandioses.

Olivier consulte une dernière fois le topo. "Quatre ressauts annoncés", marmonne-t-il en repliant la feuille. Alex acquiesce, ajuste son baudrier. Nous nous mettons en route, encore confiants, encore sereins. Si nous avions su...

Chapitre 4 : L'arête du mensonge

Le topo mentait. Ou plutôt, il pratiquait cet art délicat de l'euphémisme montagnard qui consiste à minimiser systématiquement les difficultés. Quatre ressauts ? Nous en comptons rapidement le double, puis perdons le compte tant ils se succèdent avec une régularité décourageante.

L'arête se révèle être un véritable rasoir, cette formation rocheuse effilée qui fait le bonheur des alpinistes aguerris et la terreur des débutants. Heureusement, notre groupe maîtrise parfaitement les techniques d'encordement et de progression en terrain exposé, merci à Olivier pour la formation "Initiés en Alpinisme".

Les ressauts s'enchaînent, "sympathiques" comme on dit dans le jargon alpin - ce qui signifie généralement qu'ils demandent un minimum de technique et beaucoup de sang-froid.

Chapitre 5 : La pause du faux espoir

Vers midi, nous nous accordons une pause casse-croûte bien méritée. Le soleil tape, l'ambiance est excellente. La vue sur les massifs environnants est époustouflante : les Drus se dressent comme des cathédrales de granit, leurs arêtes effilées tranchant le ciel azur, tandis que les Grandes Jorasses déploient leur impressionnante face nord, terrain de jeu légendaire des plus grands alpinistes. On pense un instant à Benjamin Vedrines, ce phénomène qui enchaîne les records dans les Alpes et ailleurs - il paraît qu'il a les yeux presque aussi beaux qu'Alex, ce qui n'est pas peu dire.

"On est bien dans les temps", assure Olivier en consultant sa montre. "Le train de 17h, c'est dans la poche." Les rires fusent, l'optimisme règne. Nous sommes encore loin d'imaginer que nous venons de vivre nos derniers instants d'insouciance de la journée. Car ce train de 17h n'est pas n'importe lequel : c'est le dernier de la journée.

Chapitre 6 : Quand la neige s'en mêle

La seconde partie de l'arête nous réserve une surprise de taille : la neige fait son apparition, d'abord timidement, puis de plus en plus présente. Ce qui devait être une progression fluide se transforme en parcours d'obstacles. Chaque pas doit être pesé, chaque appui testé.

Les ponts de neige, ces formations perfides qui masquent les vides, nous obligent à redoubler de prudence. "On prend le temps", décrète Alex, personne ne proteste. La montagne nous enseigne la patience, parfois à nos dépens.

Malgré ces complications, le spectacle compense largement les efforts. L'aiguille de l'M se dresse devant nous dans toute sa splendeur, ses parois granitiques rougeoient sous les lumières de fin d'après-midi. Ces moments de grâce pure justifient à eux seuls toutes les sueurs froides.

Chapitre 7 : La descente dans le coton

Arrivés enfin au bout de l'arête, nous entamons la redescente dans la neige molle. Autant l'ascension dans la poudreuse peut être grisante, autant la descente dans la neige ramollie par le soleil tient du cauchemar. Nos pieds s'enfoncent, les chutes sont fréquentes, l'avancée devient laborieuse.

C'est là que nous réalisons pleinement l'ampleur de notre "léger" retard. Le soleil décline, les ombres s'allongent, et nous sommes encore loin, très loin du Montenvers. Le train de 17h ? Le dernier de la journée, celui qu'on ne peut pas manquer sous peine de descendre à pied... Et pourtant, nous allons le manquer, et de plusieurs heures.

Chapitre 8 : L'épopée nocturne

Les lumières de fin de journée, d'abord magnifiques, deviennent progressivement nos ennemies. Car après les lumières vient l'obscurité, et avec elle, l'obligation de sortir les frontales. 22h au Montenvers - quinze heures après notre départ matinal. Nous avons transformé une sortie "tranquille" en expédition polaire. Miracle ! L'hôtel du Montenvers est encore ouvert, et un serveur compatissant accepte de remplir bidons et poche à eau. Nicolas, surnommé pour l'occasion "la citerne", profite de cette halte providentielle pour refaire le plein hydrique. Son appétit légendaire pour l'eau fraîche lui vaut ce nouveau sobriquet que nous ne manquerons pas de ressortir lors des futures sorties.

Chapitre 9 : La descente aux enfers (ou presque)

Redescendre à Chamonix par le sentier de randonnée, de nuit, après quatorze heures d'effort, relève de l'exploit. Nos frontales tracent des arabesques dans l'obscurité, éclairant tour à tour racines traîtresses et pierres branlantes. L'ambiance oscille entre épuisement et fou rire nerveux.

Heureusement, Vincent, notre ange gardien, nous intercepte sur le sentier. Le minibus du Club nous apparaît comme un mirage salvateur. Sans cette providentielle intervention, nous aurions probablement établi un nouveau record de durée pour une sortie "à la journée".

Chapitre 10 : L'accueil du chalet

Minuit sonnant, nous atteignons enfin le chalet du Tour. Plusieurs heures après notre départ confiant du matin, nous découvrons les affres de la désillusion : plus de bière, le bar est fermé. Après un tel périple, cette nouvelle a l'effet d'une douche froide.

Mais c'est sans compter sur Delphine, la gérante du chalet CAF, qui révèle des talents d'organisation dignes d'un chef d'état-major. Elle nous a improvisé une tablée de fortune et sort de ses réserves un hachis Parmentier accompagné d'une salade tomates-concombres. Ces mets simples prennent, après notre odyssée, des allures de festin royal.

Épilogue : Les leçons de l'humilité

Cette journée du 29 mai 2025 restera gravée dans les annales du Club Alpin de Mâcon. Partie pour une sortie "classique" de quelques heures, elle s'est transformée en épopée de quatorze heures d'effort, nous rappelant avec malice que la montagne garde toujours quelques surprises dans sa besace.

Nous avons appris ce jour-là que les topos mentent parfois, que la neige printanière peut transformer un parcours facile en parcours du combattant, et surtout, que l'optimisme matinal doit toujours s'accompagner d'une solide dose d'humilité.

Olivier le boss et Alex le GOAT ont une fois de plus démontré leurs qualités d'encadrement, gérant avec brio les aléas d'une journée qui ne s'annonçait pourtant pas si compliquée. Yohann, Mickaël, Dimitri, Nicolas le tracteur (alias la citerne) et Christophe ont fait preuve d'un esprit d'équipe exemplaire, prouvant que l'alpinisme reste avant tout une histoire de solidarité.

Quant à Delphine, notre providentielle hôtesse, elle a transformé notre retour épique en moment de convivialité, rappelant que l'accueil chaleureux du refuge fait partie intégrante de la magie montagnarde.

Au final, cette journée marathon aura été riche d'enseignements : respecter la montagne, prévoir l'imprévisible, et surtout, garder le sourire même quand le train de 17h n'est plus qu'un lointain souvenir. Car c'est aussi ça, l'esprit du Club Alpin : transformer les galères en aventures, et les aventures en souvenirs impérissables. Club Alpin Français : fabrique d'expériences depuis plus de 150 ans.

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Post-Scriptum : L'auteur de ce récit tient à préciser, dans un souci d'honnêteté intellectuelle, que ce texte comporte quelques approximations, voire hallucinations. Entre l'épuisement de quatorze heures d'efforts, les effets de l'altitude, et cette fâcheuse tendance qu'ont les souvenirs de montagne à s'embellir avec le temps, il est possible que certains détails aient été légèrement... romancés.







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